Il n’est pire sourd que celui qui ne veut rien entendre … mais il n’est plus beau son que celui d’une harmonie humaine.
Les applaudissements nourris succédaient maintenant aux applaudissement polis. Des sourires ébahis effaçaient les premiers sourires narquois ou dubitatifs sur les visages des nouveaux parents. Étonnés, émus parfois, ils avaient en fait pris grand plaisir à cet accueil inattendu.
L’idée avait germée dans le cerveau embrumé du président d’Apel, un soir de concert à Paris. Pourquoi ne pas créer à l’école de ses enfants, une chorale d’adultes pour créer du lien au sein de la communauté éducative ? Une chorale qui regrouperait parents d’élèves, professeurs, et personnel administratif de l’école.
« L’idée première était aussi de supprimer ces barrières invisibles qui existent naturellement (ou plutôt, traditionnellement), entre les parents d’élèves, les professeurs, et l’administration. Chanter ensemble, pour s’entraider, pour communiquer, pour se tutoyer, pour participer à un effort et un but commun. »
Une idée vite soutenue par la Direction de l’école, qui y trouvait là écho à une forme de liberté indispensable dans l’enseignement, et à un engagement de certaines personnes au-delà des heures académiques rémunérées. Un engagement qui prenait sa source dans un sentiment non quantifiable, et dont l’école a un besoin grandissant : la passion. Celle d’enseigner, celle de transmettre, celle de se mêler aux autres pour les aider, celle de faire naître des vocations et des consciences.
L’idée première était aussi de supprimer ces barrières invisibles qui existent « naturellement » (ou plutôt, traditionnellement), entre les parents d’élèves, les professeurs, et l’administration. Chanter ensemble, pour s’entraider, pour communiquer, pour se tutoyer, pour participer à un effort et un but commun.
Et loin du pot traditionnel d’accueil des nouveaux parents, accompagné du discours convenu du chef d’établissement, les parents bénévoles en cercle à ses côtés, faire assister ces nouveaux parents, à un spectacle organisé pour eux, par d’autres parents, comme premier signe de solidarité et de mélange, cette accolade musicale, ce baiser harmonique, surprenait autant qu’il en-chantait, les parents tout juste arrivés dans cette école.
Comme pour tout lancement de projet, il y avait eu une période de recrutement, une période d’adhésion, et une période d’essai. Il avait d’abord fallu trouver un chef de chœur, suffisamment compétent pour apporter du liant à des chanteurs débutants, voire timides, et des chanteurs plus réguliers. Puis convaincre un nombre suffisant de parents et adultes de l’école, le plus difficile étant de trouver des voix masculines (la solitude du ténor de fond, ou du baryton occasionnel pouvant être un danger pour la longévité du chœur).
Enfin il fallut trouver un horaire, une salle, un instrument accompagnant, des dates de répétition, une date de concert… et lancer l’aventure.
La chance que nous eûmes (peut-être parce que nous avions humé le bon individu) fût que le chef de chœur avait beaucoup de charisme et d’humour, et permit ainsi aisément aux esprits timides comme aux plus vaillants, de se lâcher, de s’amuser en travaillant leur voix. Il avait aussi et surtout bien compris le but de cette chorale : présenter un répertoire international (comme l’était le réseau de nos écoles), prendre un verre ou un café tous ensemble après la répétition, se moquer de soi-même et encourager les autres.
Le fait est, que très vite, les participants à la chorale prirent l’habitude de se tutoyer, de rire, de régler des problèmes ensemble, de lancer des sujets et des expériences de manière commune et décomplexée. Cette première année d’essai fut donc à la fois joyeuse, concluante et dynamique.
Pourtant, tout ne fût pas évident à mettre en place. Apprendre à chanter à des gens qui ne savent pas distinguer une croche d’une ronde, un mi d’un sol, et un oratorio d’une sonate, n’est pas évident en soi. Mais le cerveau humain est ainsi fait, qu’il a des possibilités que son propriétaire ignore. Apprendre en jouant se montre d’une facilité exquise. Et l’effet de groupe joue à plein quand on se détend après une journée de travail.
Chacun se rêve en artiste de music-hall et se transmue en metteur en scène d’un instant. Pour autant, la discipline est là, et la fraîcheur de ces voix nouvellement trouvées, firent oublier la justesse toute relative des notes et l’harmonie légèrement dissonante du groupe. Peu d’entre nous parlaient des langues étrangères, et pourtant nous avions chanté, (déjà un miracle en soi) en anglais, en brésilien, en swahili.
Je repensai, en m’inclinant comme un artiste sous les applaudissements, aux fous-rires devant une voix éraillée, aux absences des uns ou des autres pendant les répétitions, aux vagues d’incompréhension à l’origine du projet, et aux traditionnalistes qui auraient souhaité qu’on ne chante que des chants religieux.
En me relevant, j’entrevis scintiller quelques larmes d’émotion aux coins des yeux de certains parents, simplement touchés que des adultes aient pris soin de les prendre par la main en musique.