Dans le cadre d’un « parcours découverte » de l’IME (Institut médico-éducatif), les élèves de Terminale des Francs Bourgeois-Lasalle sont entrés en dialogue avec la directrice de l’institut, Nelly, et avec les adolescents qui travaillent à Notre Café, cour de Venise. Nous avons partagé un repas. Et nous avons dialogué autour du thème de la différence, des intelligences multiples, et réfléchi au regard porté sur le handicap dans nos sociétés souvent clivées entre ceux qui réussissent et les autres, établissant la norme à partir critères sélectifs fondés sur la seule intelligence calculante. Si la pensée qui calcule ne s’arrête jamais, ne rentre pas en elle-même, et cherche sans cesse à contrôler, à s’approprier…, la pensée qui médite, cherche le sens, la vérité. Nous ne parvenons pas à des pensées, elles viennent à nous depuis l’écoute attentive du silence intérieur.
En classe de philosophie, à travers la lecture des œuvres de Simone Weil, nous avons ensemble pu mettre des mots sur cette expérience unique que nous avons vécue avec les jeunes de l’IME, dans ce que la philosophe appelle la plénitude de l’amour du prochain, dans cette capacité à laisser place, à faire place, sans juger, sans rejeter, ou classer.
L’essence de la pensée comme de toute parole est déploiement, ouverture à l’altérité. Le souci de l’autre, la place réelle qu’on lui fait, l’attention qu’on lui porte rejoint, par la contemplation du visage, toute l’éthique du care. Le visage de mon prochain est une altérité qui ouvre au-delà. Comprendre une personne, accueillir vraiment sa différence, c’est déjà lui parler. Levinas nous l’enseigne quand il dit dans Éthique et infini : « Poser l’existence d’autrui en la laissant être, c’est déjà avoir accepté cette existence, avoir tenu compte d’elle. » En allant à la rencontre de jeunes différents, les lycéens de Terminale F et de Terminale D ont fait l’expérience d’une parole vive, spirituelle, d’un souffle qui nous portait, par-delà nos repères, nos représentations figées, nos préjugés. Tout visage est une étincelle de cette lumière de la pensée, de la vie, de l’amour éternel. En être conscient, le reconnaître, c’est comprendre que le visage parle. Il parle en ceci que c’est lui qui rend possible et commence tout discours. En classe de philosophie, à travers la lecture des œuvres de Simone Weil, nous avons ensemble pu mettre des mots sur cette expérience unique que nous avons vécue avec les jeunes de l’IME, dans ce que la philosophe appelle la plénitude de l’amour du prochain, dans cette capacité à laisser place, à faire place, sans juger, sans rejeter, ou classer. C’est un art d’être, de vivre, fondé sur l’attention, cette faculté qui s’ouvre au beau, au bien, au sens de la justice et de la vérité. Alors ensemble, osons défier la novlangue, les poncifs et les diktats de normes du dressage collectif.
Ensemble, osons la liberté, notre irremplaçable liberté, celle dont nous sommes responsables. Là où nos opinions irraisonnées tiennent lieu d’idées, la violence et l’exclusion règnent, mais là où nous avons le courage de penser, de nous engager, de partager, en dépassant les égoïsmes et les prétentions orgueilleuses, nous découvrons le trésor de l’espérance en une promesse habitée : la joie d’être avec le prochain, de prendre soin les uns des autres, en cette amour discret qui rend possible le dialogue fécond, la pensée.
Alors si pour nous les mots ont un sens, traduisent une réalité vécue, partagée avec le prochain, s’ils ne restent pas des abstractions figées dans la pierre ou sur un écran, alors ils prennent chair en nos vies – des vies minuscules peut-être, mais rendues immenses par leur consentement à se laisser traverser par cette rencontre, par cet amour fraternel. Ce que nous avons osé vivre c’est ce geste ouvert et libre : un cœur qui aime, qui se donne sans compter. Par cette rencontre à l’IME, au sein de Notre Café, les jeunes de Terminale des Francs Bourgeois-Lasalle se sont laissés toucher, transformer. Ils sont appris à dialoguer en vérité, à entrer dans cette lumière de vie qui donne à l’âme ses ailes, et au corps sa beauté.
Des amis ayant vécu l’expérience collective de la reconnaissance de l’autre comme artiste et inventeur sont des adultes soufflant dans les couloirs de l’école un vent de liberté qui touchera les enfants et les jeunes, leur ouvrira des portes. Aimer et être aimé dans l’école se diffuse par ricochets.
[1] Dufourmantelle A., Puissance de la douceur, Payot, Éditeur, Paris 2013, p.26.
[2] Meirieu P. Art et artistes à l’école. Intervention au théâtre du Rond-Point. 2004.
[3] Exposition « Graffiti», 2022, La Fab, place Basquiat 75013 Paris