Comment ce mot se vit-il au sein de nos écoles, dans nos classes, au quotidien ? Comment l’enfant, l’élève peut-il y faire l’expérience de la liberté, prendre la mesure de sa liberté et de celle des autres, prendre conscience des fondements nécessaires et de ses conséquences ?
Retour sur des échanges en classe de CM2
Quelque temps après le démarrage du travail personnalisé, j’interroge mes élèves de CM2 sur le sens de ce mot. Bien sûr, ils en connaissent le sens et font référence au premier principe de la devise républicaine Liberté, Égalité, Fraternité qui s’affiche sur les frontons de nos bâtiments publics, sur nos pièces de monnaie, nos timbres…
Je leur demande si la liberté signifie quelque chose pour eux, s’ils se sentent libres au sein de notre école et dans la classe. D’emblée, la réponse est majoritairement négative. À l’école on ne fait pas ce qu’on veut, il y a des règles donc on ne peut pas être libre. Seule la récréation apparait à leurs yeux comme le moment durant lequel ils se sentent le plus libres parce qu’ils peuvent jouer, courir, ne pas travailler. Ils reconnaissent malgré tout que certaines règles sont nécessaires dans cet espace, pour leur sécurité. Les échanges les amènent alors à penser qu’il n’y a peut-être pas de liberté sans règles et sans limites, que la liberté doit se vivre dans le respect des personnes et des lieux pour espérer être soi-même respecté et libre. Les règles (la loi), leur enseignante (moi) ne seraient-elles pas là pour garantir les libertés de chacun ?
C’est dans le contexte de la pédagogie personnalisée Pierre Faure que nous poursuivons notre réflexion. De la signification complexe du mot, que le Larousse en ligne[1] donne à lire, nous retenons ces trois idées que nous côtoyons et expérimentons au quotidien pendant les séances de travail personnalisé.
La liberté, c’est la « Possibilité d’agir selon ses propres choix, sans avoir à en référer à une autorité quelconque. »
La liberté, c’est le « Temps libre, dont on peut disposer à son gré. »
La liberté, c’est la « Situation psychologique de quelqu’un qui ne se sent pas contraint, gêné dans sa relation avec quelqu’un d’autre. »
« Chaque jour, les élèves disposent d’un espace-temps de près de deux heures durant lequel ils peuvent exprimer des choix. »
Pour eux, cela fait aussitôt écho au travail personnalisé. Chaque jour, les élèves disposent d’un espace-temps de près de deux heures durant lequel ils peuvent exprimer des choix : choix du domaine d’enseignement (français, mathématiques) et de l’apprentissage qu’ils souhaitent travailler, du matériel qu’ils ont envie d’utiliser, de l’endroit où ils veulent s’installer, de travailler seul ou avec des partenaires, de commencer par l’apprentissage qui les rassure. Ils ont la possibilité de travailler plus vite ou plus lentement en fonction de leur rythme d’apprentissage ou de leur forme physique, de passer les évaluations sommatives quand ils se sentent prêts, de retravailler un apprentissage déjà validé pour le réviser, d’aider ou de ne pas aider, de demander de l’aide ou de nouvelles explications à un camarade ou à l’enseignant, d’utiliser des référents. Ces choix, chacun apprend à les réfléchir et à les décider en fonction de ses besoins.
À la fin de chaque temps de travail personnalisé, nous mettons en place la mise en commun et chacun peut s’exprimer. Celle-ci est organisée de la façon suivante :
- Autoévaluation de son travail : temps de réflexion personnelle guidée par quelques questions écrites sur un document collé dans les pochettes de travail personnalisé des enfants ; présentation à voix haute de leur autoévaluation par un ou deux enfants qui le souhaitent ; conseils donnés à ces enfants par les autres élèves.
- Remerciements, félicitations, encouragements : temps durant lequel les uns et les autres expriment leur gratitude pour une attitude positive, une aide apportée, une explication donnée pendant le travail personnalisé.
- Désaccords : temps durant lequel chacun peut exprimer ce qu’il n’a pas apprécié de la part d’un autre pendant la séance de travail personnalisé, de façon claire, sans retenue mais avec des mots bienveillants. Dire à un autre que son comportement a dérangé n’est pas une atteinte à la personne et les enfants en saisissent bien le sens. On explique, on comprend, on s’excuse et on répare si besoin.
- Fonctionnement du travail personnalisé : Lecture des petites annonces pour trouver un partenaire de travail, demande d’aide, questions sur un matériel ou un apprentissage, échanges sur l’organisation générale du dispositif de travail personnalisé (besoins ressentis, changements à apporter, réflexions et décisions collectives).
Ce temps de mise en commun est essentiel pour les enfants. Il serait d’ailleurs difficile de l’oublier dans l’emploi du temps, ils le réclament. Il est un espace de parole et de partage. Il est à la fois un temps de régulation et un temps où chacun prend conscience de sa contribution, de sa responsabilité personnelle dans la réussite du travail personnalisé et l’avancée de tous. La liberté d’expression est appréciée. Tous en font usage mais le font respectueusement. Il est curieux de constater que les enfants eux-mêmes réclament un cadre, la mise en place de règles ; une charte écrite qui garantit à chacun la possibilité de travailler sereinement et la liberté d’exercer les choix évoqués précédemment. Ce sont les enfants qui élaborent ce texte et ils ne manquent pas d’y avoir recours quand cela est nécessaire.
La pédagogie de Pierre Faure éduque au choix. Elle est une pédagogie qui reconnait l’enfant capable de penser, de réfléchir, d’exprimer une opinion, de se détacher de l’adulte pour prendre des décisions et les justifier, de s’engager pour lui et pour les autres, seul ou avec les autres, d’identifier ce qui pose problème, de trouver des solutions pour y répondre, en bref d’être autonome pour peu qu’on lui laisse la place de l’expérimenter. La posture de l’enseignant est une posture de retenue. Il suscite l’activité cognitive de l’élève, il organise, accompagne, conseille, oriente, régule, encourage et l’enfant prend conscience qu’il est capable de progrès.
Finalement, dans la pédagogie Pierre Faure, les règles mises en place et l’activité de l’enseignant ne sont pas des contraintes ou des entraves à la liberté. Elles n’empêchent pas la liberté. Elles guident et rassurent. Elles sont l’assurance de pouvoir se sentir libre car la liberté à l’école et dans la classe, comme nous le confie Lilya, élève de CM2, c’est « se sentir protéger, à l’abri » pour apprendre.
[1] https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/libert%C3%A9/46994