Déléguée de tutelle des sœurs du Saint Sacrement, j’apprends au détour d’une conversation dans un établissement du second degré que le bol de riz sera obligatoire pour tous ceux qui mangeraient ce jour-là à la cantine. Les autres seraient donc tenus de manger à l’extérieur.
Lors d’un conseil de direction dans ce même établissement, je m’enquiers de cette décision. Le chef d’établissement confirme effectivement le choix. Je pose alors la question qui me brûle les lèvres, pas très à l’aise avec ce choix. « En quoi rendre obligatoire le bol de riz éduque à la liberté et au choix ? En quoi c’est en cohérence avec le projet éducatif et le texte de référence de la tutelle ? » Les visages se figent, un brin gênés, interloqués par une question qui les met en cause ? Nos relations sont bonnes et la parole a toujours circulé en vérité. Le chef d’établissement se lance et me dit que le choix d’une seule proposition au self était une entrée très organisationnelle, cela simplifie les choses et génère plus de passage pour le projet Brésil soutenu.
Différentes réflexions fusent alors : « Est-ce un choix ? » dit un adjoint. Un autre rétorque : « Les élèves, en s’inscrivant ici, adhèrent au projet éducatif, on prône le vivre ensemble, grandir ensemble, apprendre ensemble et imposer, banaliser un repas pour tout le monde apprend à consacrer du temps à autrui autour du bol de riz. Cela nous permet de sensibiliser plus de jeunes et de donner du temps pour s’ouvrir à l’autre. »
Autour de ce repas, il y a eu beaucoup d’animations culturelles et sportives autour du Brésil de 12 h à 14 h : un package autour de la solidarité. Cela a été bien vécu dans un esprit joyeux et nous n’avons pas eu de remarques sur la question de l’obligation, l’objectif avait été donné et il semble que c’est compris et accepté.
« Participer librement, sans faire du nombre, mais donner envie d’y venir par contagion d’année en année… Prendre le risque du ‘venez et voyez’. »
Je leur fais remarquer alors que j’entends ce qui les conduit. Cependant la question demeure. Il n’y a pas une seule réponse. Pour autant cela me surprend. Je le reçois comme une injonction paradoxale. Le Christ laisse toujours libre dans l’Évangile.
L’Adjointe en Pastorale scolaire reprend alors : « Si on impose pour imposer, ça ne marche pas, nous choisissons de l’inscrire dans une démarche ; il y aura d’autres temps sur la thématique, et ça permet de se poser, de réfléchir… Ce n’est pas un « one shot » ! »
Un autre adjoint reprend : « Finalement, on peut se dire que l’objectif sous-jacent est de faire expérimenter, de vivre un don pour une cause, on passe peut-être à côté de l’objectif visé d’une transformation par l’expérience s’il n’est pas explicité en amont et en aval, s’il n’y a pas une relecture de la démarche, de l’expérience, du sens et de ce à quoi l’argent récolté va servir, et où il sera versé. Expliciter, oui, qu’on propose une expérience rendue obligatoire. Nous leur demandons alors de nous faire confiance, de se laisser conduire, et nous devons faire la promesse d’une reprise ensemble après. »
La liberté, on l’éduquerait grâce au travail en amont et en aval si on décide de conserver le caractère obligatoire.
Le chef d’établissement reprend la parole et dit : « Je prends conscience qu’imposer n’est pas la solution, quand c’est juste pour des questions de facilité et d’organisation. En fait, il nous manque la vision. Si on n’a pas de restitution et de travail autour de l’expérience vécue. Il nous manque la vision, c’est plus compliqué. »
« Je ne crois pas que ma responsabilité de tutelle est de décider à la place des équipes, ni de donner LA bonne réponse. Ce qui me semble intéressant ici est de cheminer ensemble dans une discussion, nous avons à nous laisser travailler par la question et avoir pleinement conscience des choix éducatifs qui sont faits. »
Je les remercie pour leur sincérité et je leur redis mon souci, en tant que déléguée de tutelle : qu’en équipe de direction ils soient toujours au clair sur le pourquoi : pourquoi on le fait et comment on le fait vivre. Qu’ils réfléchissent aussi à la façon dont on donne à voir, à vivre et à goûter ce qui nous fait vivre, ce qui fait partie de notre ADN. Participer librement, sans faire du nombre, mais donner envie d’y venir par contagion d’année en année… Prendre le risque du « venez et voyez ». »
Force est de constater que tous se sont mobilisés joyeusement et généreusement pour récolter des fonds pour le projet Brésil. Ils y ont vécu un vrai temps de partage avec des adultes nombreux. Le chef d’établissement conclut alors : « Bon, on était un peu déstabilisés par ta question mais du coup on va continuer à y réfléchir. »
Je ne crois pas que ma responsabilité de tutelle est de décider à la place des équipes, ni de donner LA bonne réponse. Ce qui me semble intéressant ici est de cheminer ensemble dans une discussion, nous avons à nous laisser travailler par la question et avoir pleinement conscience des choix éducatifs qui sont faits.